jeudi 1 mars 2018

L'art d'écrire un récit de voyage - l'Ashram




Jour 6 : suite

Le trajet vers l'ashram est long, dangereux, éprouvant : accélérations, coups de frein, route cabossée, les frayeurs se succèdent. Nous terminons épuisées, éprouvées. L'arrivée est difficile. Nous sommes accueillies au Shanti yoga ashram par le guru* lui-même.


Nous ne comprenons pas grand chose à ce qu'il nous dit. Nous ne semblons pas attendues. Après quelques minutes nous sommes amenées à nos chambres, nous ne dormirons pas ensemble. Parfois, la chambre individuelle peut sembler un luxe mais là, j'aurai payé cher pour ne pas être seule, je ne me sens pas en sécurité. Ma chambre ressemble à une cellule de monastère humide avec une forte, très forte, odeur de moisi.Ma copine semble très mal à l'aise, je ne le suis pas beaucoup plus. Je culpabilise de l'avoir traînée là. L’endroit où nous sommes semble en travaux. On ne voit personne, cela m'inquiète. On nous indique que le repas aura lieu dans trois quart d'heure. Je me dis que si on ne croise personne au repas, nous repartirons. Mais le repas arrive et nous rencontrons tous les pensionnaires de l'ashram. Ils sont jeunes et viennent des quatre coins du monde : Australie, Lituanie, Belgique, Canada, Turquie...
Une fois encore, je regrette que mon anglais soit si mauvais mais j'essai vraiment de communiquer. Je ressens la perte de repères, l'insécurité, le sentiment de ne rien maîtriser et de s'en remettre à l'autre. Après les 7 ou 8 heures de trajet d'aujourd'hui, cela est difficile. Le repas est bon.


A 19h, chants! Assis en tailleur dans une petite pièce, nous chantons avec conviction des chants pour Shiva. Certains ferment les yeux, d'autres tapent dans les mains. On ressent une vraie conviction. Une sorte de communion aussi.


Ça y est, mon aventure commence! Je suis contente même si cela est très déstabilisant. En retournant dans ma petite chambre à l'odeur de moisi, je suis heureuse d'y trouver un peu de wifi et de pouvoir appeler les miens. Mon fils me semble avoir grandi, il parle mieux. Mon homme est souriant attentif, je les aime!!!!

Jour 7 : YOGA


Se concentrer sur sa respiration et la chaleur des rayons de soleil sur sa peau. Que suis-je venu chercher dans un ashram au Népal?
Hier soir, seule dans ma chambre humide, avec une énorme araignée comme unique compagnie, les mots prononcés par ma copine un peu plus tôt raisonnés en moi : "Pourquoi s'infliger ça?"
J'envoi des messages à mon mari mais de là où il est, il ne réglera pas mon problème d'araignée! Je consulte des forums sur internet au sujet des araignées népalaises. Bref, j'essai de me rassurer. Je m'enduis d'antimoustique et m'emmitoufle au maximum dans mon duvet. Je pense à la journée du lendemain en essayant de me convaincre que cela en vaut la peine. Je m'endors probablement shootée aux vapeurs de cinq sur cinq!

Vers 5h du matin, j'entend les cris de Gloria San, la professeur canadienne. Le chien de l'ashram est mort. Elle nous avait prévenu hier soir, qu'il était malade. La cloche qui indique le moment de se lever sonne plus tôt que prévu, une cérémonie est organisée pour les funérailles du chien. Nous n'osons pas y prendre part. Encore une fois, nous sommes un peu désorientées, perdues. Nous assistons au levée du Soleil, il y a une belle vue sur l’Himalaya et Katmandou.

Arrive enfin le moment du "training" matinal, cela fait au moins 2H30 que je suis réveillée. Le petit déjeuner ce sera pour après. La séance a lieu dans une grande salle entièrement vitrée en hauteur avec vue sur la chaîne de montagnes.

Elle est dirigée par trois futurs professeurs. Je me sens bien, je lâche prise, je ne comprend pas grand chose à ce qui est dit mais peu importe je profite de l'instant présent.

Le malaise revient lorsque la séance est terminée. Que faire? Comment trouver sa place, une fois que la bouillie qui faisait office de petit déjeuner est engloutie. Je propose à mon amie de partir un jour plus tôt, je ne sais pas si j'ai raison. Peut-être faudrait-il vivre plus longtemps à ce rythme étrange pour apprendre à l'apprécier? ou peut-être qu'il est inutile de s'infliger tout ça, de se bousculer autant.

Nous ne sommes pas si mal sur la terrasse au soleil à lire ou à écrire. Peut-être serions nous mieux à visiter des stupas**. Mais pour cela il faudrait remonter dans un taxi et j'y serais encore moins bien que dans ma chambre moisie avec araignée!

J'ai appris en partant très loin que je voulais être chez moi, avec les miens. Au mariage d'un couple d'amis le week-end précédent mon départ déjà, je l'avais pressenti. Appartenir à un endroit Avoir des liens solides, immuables avec sa famille, ses amis : c'est ça la vraie richesse. Etre"instable" comme je le suis parfois est une sorte de fuite. Toujours découvrir de nouveaux endroits, faire de nouvelles rencontres: c'est rassurant et plus facile. Pas besoin d'affronter les difficultés qui peuvent s'installer dans la durée. Tout beau, tout nouveau! Je vais affronter les difficultés car elles ne sont pas si grandes et que cela en vaut la peine. Je vais appeler ma famille et mes amis plus souvent. Etre plus nature, tomber le masque, cela doit être reposant. Ma priorité c'est ma famille avant tous les autres projets. Une famille a agrandir peut être? Aimer mieux ceux que j'aime vraiment.

Notre décision est prise, nous partirons demain matin. Une seule nuit supplémentaire dans la toute petite chambre humide, moisie, pleine de bêtes, avec les WC bouchés et sans douche sera suffisante. La décision prise, je ne suis pas pour autant soulagée. Il nous faut l'annoncer, en plus de nous n'avons pas de roupies népalaises pour payer, uniquement des euros. Nous devrons aussi nous assurer que l'hôtel aura une chambre de libre et qu'un taxi vienne nous chercher jusqu'à l'ashram : tout ça sans parler la langue et sans disposer de moyen de communication. Je suis tendue, comme toujours dans ce genre de situation, je déteste avoir à demander quelque chose... Et comme souvent ces angoisses s'avèrent infondées. Guillaume, qui seconde le guru est français!! Il ne fait aucune remarque lorsque nous lui annonçons le jour et l'heure de notre départ. Les euros ne lui posent pas plus de problème et il téléphone pour nous à l'hôtel et au taxi. Il me faut vraiment apprendre à demander et surtout accepter que si quelque fois on me répond négativement ce n'est pas grave, que cela ne mérite pas toutes les montées de pression que je m'inflige quand je suis contrainte de le faire. Ce moment, loin d'être pénible, a été l'occasion d'une discussion sur le yoga et l'ashram. Nous aurons même droit cette après-midi à une séance rien que pour nous et en français!!!

Ces deux heures de yoga et de médiation ont été exceptionnelles. Je retiens tout particulièrement les Om où mes vibrations semblaient à l'unisson avec celles de l'harmonium et de mon amie; de sorte que je ne savais plus ce qui sortait de moi ou venait de l’extérieur. Un vrai moment de connexion. L'autre moment qui m'a particulièrement marqué ce sont toutes les vibrations faites autour de moi alors que j'étais allongée, en pleine médiation. Ces gongs plus ou moins graves qui m'ont laissés comme enveloppée par les sons. Je ne regrette pas d'être passées par le Shanti Yoga Ashram!

Le repas chaud fait beaucoup de bien car nous sommes ressorties de la salle de pratique gelées. Pas de nouvelles séances pour nous ce soir car il s'agit de lectures complexes en anglais : nous sommes dispensées. Je suis un peu déçue mais nous ne sommes pas en reste. Demain matin, le guru nous préviens le niveau sera plus élevé!

Arrivée dans ma chambre, après cette expérience exceptionnelle, je ne regrette pourtant pas ce départ précoce car je sais que demain je pourrais prendre une douche chaude et dormir dans un chambre, certes bruyante, mais accueillante!

Il faut cependant que je poursuive dans cette voie. La méditation et le yoga me font du bien!

Jour 8 : DOUCHE




Réveil à 5h40 pour notre dernière séance de Yoga. C'est le guru qui la dirige. Nous assistons au levé du Soleil avant que celui-ci ne soit masqué par des nuages, il pleut. Je me sens vraiment bien là, comme à ma place. Lorsque le guru parle en anglais je ne comprends presque rien, qu'importe. Le début de séance ressemble aux précédentes, cela aide. Vient le moment de la salutation au Soleil : bras en l'air, on regarde en haut puis pencher en avant, sortir un pied le poser derrière et redresser le buste. Sortir l'autre pied et prendre la posture du chien tête en bas. Plier les avant-bras et poser le haut du torse afin de faire le cobra (je n'y arrive pas!). Retour en chien tête en bas, ramener un pied vers l'avant et se redresser, puis l'autre pied et se relever en amenant les bras au dessus de la tête et terminer en ramenant les bras en prière (mains jointes devant la poitrine).

On enchaîne ces postures un grand nombre de fois. La voix monocorde du guru est envoûtante. Il y a des variantes dans ce qui est dit. Il faut se concentrer sur différentes choses. A un moment il est question de couleurs : du vert, du bleu, du violet et même du jaune. Je pense que cela correspond aux chakras. Je me concentre même si je ne sais pas toujours bien sur quoi. Nous faisons ensuite la posture de l'arbre. Je n'arrive pas à amener mon pied au dessus du genou. Il faut en plus se pencher en avant puis se redresser. Ça devient difficile!
Les postures suivantes sont quasi-irréalisables à notre niveau : équilibre sur les mains, pont,...
Après un temps très (trop) court de médiation la séance s'arrête. Peut-être y a-t-il eu quelques chants, je ne sais plus. C'était il y a quelques heures et cela me parait déjà tellement loin.

Nous disposons de 20 minutes avant la cérémonie de remise de diplômes des futurs professeurs. On en profite pour faire nos sacs.

La cérémonie démarre par des discours, en anglais. Je me concentre afin d'en saisir le plus possible. Le discours d'un homme qui semble important m'interpelle. Il dit que ce siècle a vraiment besoin du yoga et de l'ouverture à l'autre qui va avec. Il semble penser que le yoga peut contribuer à la paix dans le monde. Les hommes, ici, y contribuent à leur façon en formant des hommes et des femmes, des disciples en somme,afin de répandre des messages de paix et d'amour dans tous les pays. Le yoga avec sa part de spiritualité serait-il une meilleure option que les religions et les guerre qui vont avec? Le yoga ne serait-il pas une religion sans Dieu? mais avec des rites semblables? Pour Guillaume, le yoga est à l'origine de toutes les religions et d'un grand nombre de pratiques religieuses.
Même si je ne comprend pas tout (et c'est peu de le dire), j'ai conscience que l'on me donne à voir une petite part d'un savoir ancestral et immense. C'est une opportunité unique. Des enfants participent à la cérémonie. Ils font partie de l'école ouverte par le guru où, en plus des matières traditionnelles, et pour une très grandes part, sont enseignés le Yoga et le sanskrit pendant 12 années. Ces enfants continueront ainsi à porter et transmettre ces savoirs. La célébration est gaie. Après les discours, chants, danses, démonstration de yoga se succèdent. Une élève belge chante une chanson qu'elle a composée pour l'occasion en s'accompagnant à la guitare. Sa chanson, en anglais, me touche : "Aujourd'hui, il y avait un ange sur ma route". Je suis bouleversée, j'en ai presque les larmes aux yeux., Gloria Sam elle pleure. Puis la remise des diplômes et les traditionnelles photos des diplômés : il y a des choses universelles!

Pour finir, tout le monde danse ensemble, même le guru, même nous qui n'étions jusque-là que spectateur.

C'est une façon joyeuse et parfaite de refermer la parenthèse ashram.



Je ne sais pas si je me mettrais vraiment au yoga en rentrant mais je laisse la fenêtre ouverte.

Après plus d'une heure à attendre le taxi (pendant qu'une nouvelle cérémonie est organisée pour le chien); nous voici de retour à Thamel. Nous avons cette fois droit à une chambre avec SDB et WC privatif, il y a une vraie douche avec de l'eau chaude, c'est Noël!



*guru : terme sanskrit qui signifie guide spirituel.
**stupa : monument bouddhiste.